mercredi 17 septembre 2008

Place de la didactique dans l'anglistique



Place de la didactique dans l’anglistique
Claire Tardieu
IUFM de Paris - Paris 4

[Dans le cadre de la Journée d’étude : Caractéristiques et fonctions de la didactique de l’anglais, qui s'est tenue à l'IUFM de Paris, le 12 Septembre 2008.]

Le thème de cette table ronde est la place de la didactique dans l’anglistique et en effet l’objet de notre journée est de montrer que les recherches actuelles en didactique non seulement n’échappent pas à ce domaine mais peuvent s’y ancrer ou s’en affranchir. Affaire de place, de territoire, d’identité, donc.
Le problème qui se pose d’abord est la définition de l’anglistique qui n’est pas si simple qu’il y paraît. Ensuite, il s’agit de s’interroger sur une didactique ancrée dans l’anglistique : quels sont ses champs de prédilection, ses territoires, ses relations de vassalité ou d’indépendance, ses alliances possibles, ses ambitions expansionnistes….
La réflexion qui va suivre s’inscrit dans un mouvement dynamique et portera d’abord sur le domaine de l’anglistique proprement dit propice à un certain type de recherche en didactique de l’anglais, puis sur la soumission de ce domaine à la force de pôles ou de sites complexes favorables à d’autres types de recherche peut-être, enfin, sur la prise en compte incontournable des autres langues et de l’international.

Une didactique ancrée dans l’anglistique
Bandry cite trois champs traditionnels de l’anglistique : linguistique, littérature, civilisation (Bandry, 2001). Cazade ajoute l’anglais de spécialité (Cazade, 2000) mais que fait-on de la traduction, ou de la phonologie ? On a l’habitude d’inclure la phonologie dans le champ de la linguistique, mais quid de la traduction ?
Il est intéressant de noter que pour Guillaume (2007), la didactique partage avec la traduction cette difficulté à n’habiter qu’un territoire, à se situer à l’intérieur d’un seul de ces champs de manière exclusive, d’où peut-être l’absence de lisibilité de nos travaux qui paraissent déracinés en quelque sorte. Mais cette difficulté est aussi un atout au sens où la didactique possède le don d’ubiquité, peut se situer à l’intérieur de tous ces champs et même de celui de la traduction. Sa place est tout autant à la racine de ces arbres de plusieurs espèces qui poussent dans le sol de l’anglistique qu’au faîte de la forêt. Elle est fille de l’humus et de la canopée.

Du côté des racines et de l’humus.
Le concept de transposition didactique développé par Chevallard (1985) et repris par Deyrich pour l’enseignement-apprentissage de l’anglais, permet de s’interroger sur les finalités et les modalités de l’enseignement de la littérature, de la civilisation, de la linguistique, de la phonologie, de la traduction, etc., et ce, aux différents niveaux du cursus.
Par des recherches théoriques, elle peut s’intéresser par exemple en linguistique à ce qui peut être appris par automatismes (formulaic speech) par opposition à ce qui doit être nécessairement construit (Gaonac’h, 2006), en particulier à l’école primaire. Ou encore, se demander pourquoi et comment étudier la poésie (Thomières, 1995) à différents moments du cursus, en s’efforçant de nourrir la réflexion des praticiens.
Elle sera menée par des didacticiens spécialistes de ces champs, de préférence.

Du côté de la canopée…
Un champ d’investigation complexe
Complexité des pôles
La didactique de l’anglais peut aussi dégager ses propres thématiques de recherche à partir de l’anglistique. Un positionnement épistémologique est alors nécessaire. On distingue souvent la didactique des chercheurs de la didactique institutionnelle (D. Bailly, 1998). La didactique institutionnelle, tributaire du politique, ne se situe pas totalement en dehors de la didactique des chercheurs qui l’inspire. Le champ de la didactique recouvre plutôt des pôles ou des « sites » complexes pour reprendre la terminologie de Zaoual (2006) qui offrent chacun de nombreuses possibilités de recherche de types variés (expérimentale, action, développement, descriptive) :
- un système éducatif (cursus, niveaux, politiques éducatives, programmes, modes d’évaluation, certifications), à la fois héritier d’une tradition et cherchant à s’intégrer dans l’Europe.
Ce pôle se prête en particulier à des recherches descriptives. A titre d’exemple, les évaluations nationales en langues et notamment en anglais menées par la DEPP[1] et réitérées à intervalles réguliers sont ainsi susceptibles de fournir un grand nombre de données permettant de faire des comparaisons longitudinales, de mesurer l’impact des réformes successives sur l’enseignement de l’anglais, ou encore l’évolution des représentations des élèves et des professeurs sur cette langue et son enseignement (questionnaires de contexte)
- Les pratiques de classe et leurs représentations :
Des recherches expérimentales peuvent viser à démontrer qu’une pratique a plus d’effet qu’une autre en termes d’apprentissage. Le chercheur pourra encore s’attacher aux écarts entre les pratiques observées et les discours sur les pratiques. Ainsi, un étudiant de master 2
a-t-il pu montrer à partir d’observations des interactions orales en classe d’anglais à l’école primaire que les représentations des enseignants de la part respective des deux langues (L1/L2) ne correspondaient pas au pourcentage réel (d’après enregistrement). On pense aux travaux de Castelloti.
- La société environnante (multiculturalité, crises, attentes, etc.)
Des recherches peuvent porter sur l’impact de la prise en compte plus ou moins grande du plurilinguisme des apprenants sur l’apprentissage de l’anglais, le bien-fondé des attentes sur l’enseignement de l’anglais (avec la problématique actuelle du globish et la formule provocatrice de Paikeday (1985) « The native speaker is dead »), enfin sur l’exposition à l’anglais dans la société et la place des médias dans l’apprentissage.
- La recherche dans les sciences contributoires
La didactique des chercheurs dans le domaine de l’enseignement des langues et des cultures fait appel à de nombreuses sciences contributoires – outre la linguistique, la psycho- et sociolinguistique, on peut citer l’anthropologie, l’ethnologie, la sociologie, les sciences cognitives et les neurosciences qui viennent ouvrir des questionnements nouveaux.
Ce sont ces sciences qui ont fait évoluer les programmes et dont on retrouve des traces, le plus souvent non référencées (cf Chini, 1996) dans les textes officiels, le Cadre européen (Coste, 2001), etc.

Des forces en tension
Mais ces pôles doivent aussi être envisagés comme des forces en tension, ce qui démultiplie encore le champ des possibles.
On citera en exemple les travaux de Lüdi (2002) qui recommandent d’apprendre en premier une langue 2 voisine de la L1 (en termes linguistiques ou sociologiques, ce qui n’exclut pas les démarches liées au plurilinguisme) en opposition avec la demande sociale et sa réponse politique qui imposent l’anglais à tous.
Autre exemple : La volonté politique de mieux s’insérer dans l’Europe en adossant les programmes au Cadre européen dans une perspective d’apprentissage par la tâche (Ellis, 2003) et un mode d’évaluation (le baccalauréat) qui conserve sa forme traditionnelle formatant en amont des pratiques de classe orientées vers le texte. On retrouve ici la problématique choisie par LILT pour le prochain quadriennal :
Discours/discourse

Didactique des langues et dimension internationale
Les recherches en didactique ancrées dans l’anglistique peuvent également s’unir à des travaux similaires menés sur d’autres langues. On obtient alors des recherches comparées sur un domaine d’enseignement particulier, par exemple : la phonologie.
Cette sphère des langues que l’on pourrait appeler la « languistique » offre un terrain privilégié pour les travaux interlangues déjà présents en formation des maîtres, les travaux sur le plurilinguisme (Candelier, 2001), (Coste, 2002, et le Conseil de l’Europe, 2001), sur la compétence commune de communication (Cummins, 2005 ), sur la didactique des langues en général, rejoignant ainsi les grands courants anglo-saxons (Widdowson, 2002, Ellis, 2003).
On soulignera aussi l’importance de la dimension internationale et en particulier européenne de la recherche en didactique des langues. Les travaux du Centre Européen des Langues Vivantes fournissent un vivier d’expérimentations réalisées et potentielles impliquant 33 nations européennes. Ce pôle est particulièrement propice à la recherche-action ou développement.

Pour conclure, on peut imaginer que le développement des recherches didactiques au sein de l’anglistique viendra enrichir la didactique des langues qui à son tour peut nourrir une didactique ancrée dans l’anglistique.


Bailly, D., (1998) Didactique de l’anglais, objectifs et contenus de l’enseignement, Paris, Nathan Pédagogie.
Bandry, M, Maguin, J.-M., (2001) (textes recueillis par) La contradiction. Actes du congrès de la Société des anglicistes de l’enseignement supérieur
Cazade, A., (2000) Recherche-développement en didactique multimedia de l’anglais, dossier de synthèse pour l’habilitation à diriger des recherches, sous la direction de M. le Professeur Jean-Louis Duchet, Université de Poitiers.
Centre Européen pour les Langues Vivantes/European Center for Modern Languages, http://www.ecml.at/
Chevallard, Y., (1994) Les processus de transposition didactique et leur théorisation, la transposition didactique à l’épreuve, Eds Arsac, G. et al, Grenoble, La pensée sauvage.
Candelier, M., (2003) L’éveil aux langues à l’école primaire –Evlang : Bilan d’une innovation européenne, Bruxelles, De Boeck, coll. Pratiques pédagogiques.
Chini, D., (1996) Quelques aspects de la problématique linguistique de l’enseignement de l’anglais dans le secondaire. Evolution historique des textes officiels et courants actuels, thèse de doctorat sous le direction de Madame le Professeur Danielle Bailly, Université de Paris 7, soutenue le 14 décembre.
Coste, D., (2002) « Compétence à communiquer et compétence plurilingue », in Notions en questions n°6, Lyon, ENS editions, 115-123.
Coste, D. et al., (2001) Cadre européen commun de référence pour les langues : apprendre, enseigner, évaluer, Conseil de l’Europe.
Cummins, J. (2005) “Teaching for Cross-Language Transfer in Dual Language Education: Possibilities and Pitfalls”, TESOL Symposium on Dual Language Education: Teaching and Learning Two Languages in the EFL Setting, Bogazici University, Istanbul, Turkey.
Ellis, R., (2003) Task-based Language Learning and Teaching, Oxford, Oxford University Press.
Gaonac’h, D., (2006) L’apprentissage précoce d’une langue étrangère, le point de vue de la psycholinguistique, Paris, Hachette.
Guillaume, A., (2007) « La traduction : théories et pratiques, diachronie et synchronie, TICE ou non TICE ? », Texto ! juillet 2007, vol. XIII, n°3.
Lüdi, G., (2002) « Les langues vivantes et les questions géopolitiques en Europe » in Apprendre des langues étrangères : quelles langues et pour quoi faire ?, Les Rencontres de la Desco. http://www.eduscol.education.fr/
Paikeday, T.M., (1985) The Native Speaker Is Dead ! , Toronto, Paikeday Publishing.
Thomières, D., (1995) « Lire et construire: quelques propositions de recherche en didactique de la littérature » in A. Cain, C. Briane, Quelles perspectives pour la recherche en didactique des langues? Compte rendu de la journée d’étude du 17 mars 1994, INRP, 25-30.
Widdowson, H.G., (2002) Aspects of Language Teaching, Oxford, Oxford University Press (1ère publication 1990).
Zaoual, H., (2006) « Développement, organisations et territoires : une approche sud-nord », in Croissance et développements, n°24, 2, 9-40. http://www.cairn.info/revue-innovations-2006-2.htm




[1] Division de l’Evaluation, de la prospective et de la performance, ministère de l’éducation nationale.